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La prison de Valenciennes

Valenciennes 1998 : le refus de rendre justice

par Adriaan Bronkhorst

Au tournant de l'année 1997/98 j'étais en garde à vue à Valenciennes pour avoir importé en France du cannabis, de la cocaïne et du LSD, destinés à une fête plus au sud. Comme d'habitude, j'ai régulièrement repensé ma stratégie de défense et décidé de m'en tenir à la recette familière qui m'avait si bien servi ailleurs : replacer l'affaire dans le contexte du problème social de l'usage de drogues, pour que le tribunal n'ait pas à se concentrer sur ma personne et que l’utilisation d’autrui pourrait être mis dans la balance. Après tout, la justice est aussi une question de proportionnalité dit-on et, en tant que seul défendeur, c'était clair que mon travail consistait de permettre au Tribunal de Grande Instance d'avoir une vue d'ensemble.
Donc j’ai averti par écrit le procureur en charge de mon dossier et que je voulais lui parler de la liste Bonnefous, nom de l'ambassadeur de France à Brazzaville au début des années 1970, Mr. Marc Bonnefous. Dans son ambassade on organisa des soirées où les personnes présentes, dont j’étais, consommaient du cannabis à volonté et se promenaient bien pétés dans les jardins de la Case de Gaulle, du nom de l’ancien président français, qui la visitait pendant la Seconde Guerre Mondiale quand Brazza était la capitale de la France Libre. La liste contenait déjà à l’époque de mon séjour à Valenciennes les noms de plus d’une centaine de personnalités internationales cannabinophiles, cocaphiles et autres, dont des Français de grand renom. J'informais le procureur que je souhaitais signaler plusieurs infractions liées à la drogue, comparables à celles pour lesquelles j’étais poursuivi, commises par des personnes inscrites sur la liste Bonnefous, aux fins de poursuites par la justice française. Après deux rappels, je n'avais toujours reçu aucune réponse, ce qui n'était bien sûr pas surprenant puisqu'une fois notifié officiellement d'un crime, une réaction formelle de la part du parquet pouvait être nécessaire. Mieux vaut dans ces lieux que la police vous serve des petits poissons faciles à avaler que des inconnus qui vous présentent de gros poissons dans lesquels vous pouvez vous étouffer. Il était évident que le ministère public ne voulait pas approfondir le dossier et connaître d’avantage la vérité.
Et en effet, j’avais des tout gros poissons à présenter, avec le plus haut degré d'impartialité, aussi bien sur le plan politique français qu’en ce qui concerne la préférence de consommation des protagonistes. Le cas parfait, appris de première main en 1996 concernant la passation de pouvoir en 1995 entre l’ex-président Mitterand, consommateur de marijuana et le nouveau président Chirac, disciple de mama coca. Comme on disait aux alentours d’Amsterdam : « la mama a chassé la marie-jeanne de l’élysée. » Avec les conséquences qui en découlent, car marie-jeanne danse dans les vallées ensoleillées tandis que la mama parcourt les crêtes de haute montagne.
Loin de moi de vouloir impliquer directement des personnes qui, après tout, n'ont fait que ce que j'aime faire moi-même. Mais il est aberrant que le ravitaillement de ces personnes en tant que serviteurs de l’Etat, soit organisé par les services du même État français qui détruit tant d'autres personnes pour des infractions similaires. L’Etat qui octroie des privilèges républicains, des exceptions pour l'élite à la politique de prohibition, elle-même basée sur les mensonges de la Convention unique de 1961 et des lois nationales d'application. Une  prohibition qui permet de poursuivre les populations indésirables sur la base de préférences de consommation que l'élite partage pourtant avec eux, impunément. C’est injuste dans un état de droit, c’est la trahison aux principes de la république.

Après le refus du ministère public d’agir, j’espérais pouvoir intéresser le Tribunal de Grande Instance de Valenciennes. Assisté par Maître Francis Caballero, professeur de droit pénal à l'université Paris-Nanterre, et auteur de Droit de la Drogue, connu pour son action en faveur de la légalisation du cannabis. Le procès connut un start spectaculaire. Avec tous les suspects en détention provisoire qui devaient comparaître ce jour-là menotté à un gardien de prison dans la salle d'audience du tribunal, Caballero commençait par fustigé les juges, dont deux anciens élèves, pour l'illégalité de cet acte car elle l'emporte sur le principe de l'égalité devant la loi et la présomption d'innocence et constitue une grave violation des droits du suspect. Exigeant que mes menottes soient immédiatement enlevées, les avocats des autres suspects en ont fait autant, ce qui a incité une petite révolte des gardiens qui refusaient. La séance a dû être interrompue pour permettre des pourparlers entre les gardiens et les avocats ce qui a résulté à une promesse de négociations ultérieures pour résoudre le problème pour les autres détenus, et au retrait de mes menottes. Comme la présidente du tribunal avait entretemps perdu la régie de l’opération et que les nerfs dans la salle étaient hautement tendus, Maître Caballero avait libre cours pour mesurer largement certains de ses arguments favoris. A savoir sur l'illégalité du classement du cannabis, du LSD et de la cocaïne parmi les substances stupéfiantes, pour incompétence du ministère de la Santé et sur l'irrecevabilité des poursuites douanières au vu de la règle "Non bis in idem" qui ne tolère pas de double peine. Mais quand il a ensuite voulu élaborer sur l’aspect politique du procès, la présidente l’a coupé net en l’informant qu’on avait déjà perdu beaucoup de temps et qu’elle ne pouvait pas accorder plus de temps à mon dossier sans porter atteinte aux droits des autres justiciables. Elle a fixé la date du verdict à une semaine plus tard et, à notre grande surprise, m'a relâchée à la condition que je ne quitte pas le territoire du pays.
Lorsque Maître Caballero et moi nous sommes présentés de nouveau au Tribunal le 19 février 1998, il y avait une profonde perplexité et incrédulité des deux côtés. La présidente nous a dit sans tarder qu'elle fût surprise que je sois revenu. Elle n'avait donc pas encore rendu de verdict et nous a dit que la seule chose qu'elle voulait c'est que je quitte le pays, et qu'elle me donnerait une peine inférieure à la période qui oblige à demander mon extradition vers la France et assez élevée pour que je ne revienne pas dans son pays.
Et voilà qu’après le Ministère Public la Justice française elle-même refusait de trancher un problème d’infraction à la loi commise par les plus hautes instances gouvernementales du pays. Au profit d’une petite élite les droits et surtout le bonheur de millions de citoyens sont gaspillés avec l’accord des trois pouvoirs publics. A Valenciennes, les grands principes de la révolution française ont définitivement été sacrifiés sur l’autel de la prohibition, nouvelle loi suprême de la France.